mardi 20 août 2013

La politique américaine en matière de drogues et l’état des connaissances sur le cannabis

« La politique américaine en matière de drogues et l’état des connaissances sur le cannabis »

Mitch Earlywine, Ph. D.1
Psychologue clinicien
Département de psychologie, Université de Californie du Sud



Résumé

L’impact du cannabis sur la santé est faible, comparativement aux drogues légales. Il n’y a pas de dose létale pour cette plante. Malgré la croyance populaire, elle ne réduit pas la motivation, elle n’incite pas à consommer des drogues dites dures et elle n’affecte pas la structure du cerveau. Son association aux maladies mentales suggère que les personnes qui souffrent de désordres psychotiques devraient éviter le cannabis de même que tous les psychotropes. L’usage chronique quotidien crée des problèmes potentiels sur la performance rapide des tâches complexes.

Lors d’un usage chronique quotidien, il y a déviation des fonctions cérébrales - mais pas plus que celle observée chez les alcooliques. L’inhalation quotidienne de la fumée peut abîmer les poumons, mais les nouvelles techniques de vaporisation pourraient ne pas les abîmer. L’usage occasionnel par des adultes en santé ne crée pas de maladies. Un petit pourcentage d’usagers réguliers rapporte une dépendance au cannabis mais ce désordre ne semble pas aussi aversif que la dépendance à d’autres drogues.

Le cannabis semble avoir moins d’effets négatifs sur la santé que les drogues légales comme l’alcool, la caféine ou le tabac et il tue moins de personnes. Les impacts négatifs des pénalités imposées à la possession de cannabis semblent dépasser les impacts négatifs de la drogue elle-même, suggérant que la politique anti-drogue des Etats-Unis pourrait être améliorée en décriminalisant la possession de cannabis et en permettant à chaque adulte de cultiver quatre plants pour son usage personnel. Cette nouvelle approche permettrait d’économiser des milliards de dollars sur l’application de la loi, sur le temps d’administration de la justice
de même qu’un nombre incalculable d’irritants.

L’état des connaissances sur les propriétés du cannabis ne légitime pas, selon nous, la politique
prohibitionniste en vigueur aux États-Unis en cette matière.

En effet, il ressort des données actuelles qu’une consommation modérée entraîne peu d’effets indésirables chez l’adulte. La décriminalisation de la possession de cannabis permettrait aux contribuables d’économiser des millions de dollars, car elle entraînerait une réduction des coûts d’application de la loi sur cette drogue et des frais judiciaires qui y sont liés. Le simple fait de supprimer les sanctions pénales prévues pour la possession de cannabis se traduirait par des économies substantielles. Cependant, si aucune source légale
d’approvisionnement en cannabis n’est disponible, on risque de continuer à encourager un marché
clandestin susceptible d’exposer les usagers à la consommation de drogues plus dures. Une nouvelle
politique de décriminalisation qui autoriserait un adulte à cultiver, au maximum, quatre plants de
cannabis contribuerait à diminuer l’importance de ce marché et les problèmes qui y sont associés. Une
telle approche permettrait également au gouvernement des États-Unis de dissiper le mécontentement
suscité par la judiciarisation de la consommation de cannabis pour des raisons médicales.

Effets néfastes présumés du cannabis

Létalité

Les effets du cannabis sur la santé ont fait l’objet d’un grand nombre de recherches. L’idée d’un cannabis d’une puissance sans précédent, qui agirait comme un « poison », est omniprésente dans les médias. Cependant, la dose létale du cannabis ne semble pas pouvoir être atteinte, pas même par les fumeurs invétérés. Un adulte de taille et de corpulence moyenne devrait, en effet, consommer au moins 400 grammes de cannabis en une seule prise pour s’approcher de la dose létale. Aucun décès attribuable à une surdose de cannabis n’a jamais été signalé (Earleywine, 2002).

Syndrome amotivationnel

L’image stéréotypée des consommateurs de cannabis les représente souvent comme des hippies, insouciants, sous-performants, animés de peu d’objectifs à long terme. Mais les résultats de recherche
ne confirment pas la justesse de ce stéréotype. Bien que les études de laboratoire montrent une diminution
de la performance au cours de l’accomplissement de tâches de routine sous l’effet du cannabis (Pihl et Sigal, 1978), les données se rapportant plus particulièrement aux réalisations de toute une vie ne mettent pas en évidence un manque de motivation chez les usagers. L’idée d’un syndrome spécifique ne repose sur aucune base solide.

Par ailleurs, les recherches menées auprès d’étudiants universitaires révèlent que le cannabis n’a pas d’effet négatif sur leurs résultats scolaires.

En fait, on a relevé des notes plus élevées chez les utilisateurs que chez les non-utilisateurs, et ce, dans
le cadre de deux études (Goode, 1971 Gergen, Gergen et Morse, 1972). Par contre, les élèves du
secondaire qui fument du cannabis présentent des résultats scolaires moins satisfaisants et abandonnent
l’école plus souvent (Kandel et Davies, 1996).

Cependant, les plus grands usagers obtenaient déjà des notes plus faibles avant même d’avoir commencé
à consommer, ce qui semble indiquer que le cannabis ne serait pas à l’origine de leur piètre rendement
scolaire (Shedler et Block, 1990). De plus, les élèves du secondaire qui font un usage intensif
de cannabis ont également tendance à consommer de l’alcool ainsi que d’autres drogues illicites.
Une fois ces facteurs pris en considération, le lien entre la consommation de cannabis et le
rendement scolaire ne tient plus. Ces résultats laissent plutôt supposer que des drogues autres que le
cannabis pourraient nuire au rendement scolaire, ou encore, que les élèves présentant des notes plus
faibles seraient davantage portés à consommer du cannabis (Hall, Solowij et Lennon, 1994).
Sur un autre plan, les données montrent un lien entre la consommation de cannabis et le rendement
professionnel, mais elles sont en contradiction avec l’idée que le cannabis entraînerait un manque de
motivation. Dans le cadre d’une enquête effectuée auprès d’un échantillon de 8 000 jeunes adultes
occupant des emplois variés, on a constaté que les grands consommateurs touchaient de meilleurs salaires
(Kaestner, 1994a). Parmi tous les sujets, ceux qui avaient consommé davantage de cannabis dans
leur vie gagnaient plus d’argent. Un autre rapport a révélé, chez les hommes du même échantillon, une
corrélation négative entre la consommation de cannabis et le nombre d’heures travaillées : ceux qui
fumaient du cannabis travaillaient moins d’heures.

À première vue, ces données sembleraient appuyer l’idée d’un manque de motivation. Or, le fait que les
consommateurs de cannabis touchaient des salaires plus élevés pourrait signifi er qu’ils étaient devenus
plus effi caces au travail. Aucune corrélation significative n’a été observée entre la consommation et le
nombre d’heures travaillées chez les femmes (Kaestner, 1994b). Donc, on constate que les données
relatives à l’éducation et à l’emploi contredisent l’hypothèse d’un syndrome amotivationnel qui serait
provoqué par le cannabis.

Maladie mentale

Le cannabis peut exacerber les symptômes de certaines maladies mentales, en particulier les troubles psychotiques comme la schizophrénie.

Certaines données longitudinales indiquent que le cannabis ne cause pas de problèmes de santé mentale,
mais que plusieurs personnes souffrant d’une maladie mentale décident de prendre du cannabis ;
il s’agit peut-être d’un comportement d’automédication (Thornicroft, 1990 ; McGee, Williams, Poulton
et Moffi tt, 2000). Les personnes qui présentent un diagnostic psychiatrique pourraient mieux fonctionner
si elles s’abstenaient de consommer du cannabis et d’autres substances psychoactives.

Accidents d’automobile

Le cannabis peut avoir un effet négatif sur la conduite automobile. Cependant, des études expérimentales
dans le cadre desquelles la conduite automobile a été évaluée à l’aide de simulateurs et lors d’essais sur route démontrent que les conducteurs sous l’effet du cannabis compensent les altérations cognitives suscitées par la drogue. Ils conduisent plus lentement, gardent une plus grande distance entre leur véhicule et le précédent, et prennent moins de risques. Par conséquent, dans certaines circonstances, le cannabis n’augmente vraisemblablement pas le risque de conduite dangereuse ou d’accident. Néanmoins, de telles études portent rarement sur les situations périlleuses qui pourraient exiger une réponse rapide de la part du
conducteur pour éviter un accident. En outre, des travaux récents ont mis en évidence le fait que la
prise combinée d’alcool et de cannabis diminuait de façon importante l’aptitude à conduire un véhicule
(Robbe, 1998). Comme il est prouvé que le cannabis entraîne une diminution de l’attention et un ralentissement du temps de réaction, toutes les organisations en faveur d’une réforme des lois sur le cannabis encouragent fortement les utilisateurs à ne pas conduire sous l’effet de la drogue. Prendre le volant après avoir consommé de l’alcool, à plus forte raison en association avec du cannabis, est extrêmement
dangereux et imprudent. En conséquence, les usagers qui désirent réduire les risques associés au
cannabis ne devraient jamais conduire un véhicule motorisé sous l’effet de la drogue.

Effet d’entraînement

L’idée selon laquelle le cannabis serait une drogue gateway, ou drogue d’escalade, qui conduirait
à la consommation de drogues plus dures et ayant des conséquences plus dommageables a suscité un intérêt considérable. Il n’existe pas de données indiquant que le cannabis provoque chez l’humain des changements physiologiques ayant pour effet d’accroître le désir de consommer d’autres psychotropes. Les arguments en faveur de la présence d’un lien entre la consommation de cannabis et celle d’autres drogues demeurent limités. Certes, les données montrent que la majorité des usagers de cocaïne et d’héroïne ont d’abord consommé du cannabis ; cependant, seule une minorité de fumeurs de cannabis essaient la cocaïne, le crack ou l’héroïne ;

parmi ceux-ci, seuls quelques-uns deviennent des usagers réguliers (Earleywine, 2002). Par ailleurs, la consommation de cannabis ne précède pas l’usage de drogues dures dans tous les cas. Plus du tiers des utilisateurs de drogues dures faisant partie de certains échantillons avaient consommé d’autres drogues illicites avant d’essayer le cannabis (Mackesy-Amiti, Fendrich et Goldstein, 1997). De plus, les corrélations établies entre l’usage de cannabis, la consommation de drogues dures et d’autres comportements déviants laissent croire que ce n’est pas la consommation d’une drogue donnée qui mènerait à la consommation d’une
autre ; c’est plutôt la présence sous-jacente d’une personnalité déviante ou de certaines caractéristiques
de la personnalité qui conduirait à faire usage de drogues illicites (Morral et collaborateurs, 2002).

Ainsi, même si un petit nombre d’usagers de cannabis consomment aussi d’autres drogues, ce n’est pas
le cannabis qui est responsable de cette situation.

Structure cérébrale chez l’adulte

Le cannabis n’a pas d’effet sur la structure cérébrale chez l’adulte. Il est vrai que des études réalisées
il y a longtemps avec des techniques erronées et des échantillons de consommateurs de drogues
multiples avaient mis en évidence une hypertrophie des ventricules cérébraux chez les usagers.

Mais des études modernes faisant appel à de meilleures techniques d’évaluation du cerveau et à des échantillons constitués exclusivement d’utilisateurs de cannabis ont infi rmé cette conclusion : les consommateurs de cannabis, même ceux qui en fumaient deux fois par jour depuis deux ans ou plus, n’ont présenté aucune transformation observable dans leur structure cérébrale (Block, O’Leary, Ehrhardt et collaborateurs, 2000).

Les allusions à un cannabis qui « détruirait les cellules du cerveau » sont donc visiblement
fausses dans le cas de l’adulte.

Conséquences néfastes potentielles du cannabis

Structure cérébrale chez l’adolescent

Une étude de Wilson et collaborateurs laisse supposer que les personnes ayant consommé du cannabis pendant l’adolescence auraient des cerveaux plus petits. Les adultes de l’échantillon qui avaient commencé à prendre du cannabis avant l’âge de 17 ans présentaient des cerveaux plus petits, une plus faible proportion de matière grise et un pourcentage plus élevé de matière blanche (Wilson et collaborateurs, 2000). Ce résultat pourrait indiquer une interruption du développement du cerveau dans ce cas. Les participants qui avaient commencé à fumer tôt du cannabis avaient aussi une constitution plus délicate, ce qui est compatible avec l’hypothèse d’un arrêt du développement. Il n’y avait pas de corrélation entre les changements observés dans la structure cérébrale et le nombre d’années d’usage du produit. Ces données laissent croire que l’exposition au cannabis pendant une période critique pourrait entraver le développement du cerveau,
mais qu’une exposition à un âge plus avancé aurait peu d’impact supplémentaire. Cependant, l’absence
d’une relation dose-effet pourrait signifier qu’il s’agit d’un faux résultat.

Cette étude n’apporte pas de preuve formelle que le cannabis soit à l’origine des modifications
structurelles observées dans le cerveau des jeunes utilisateurs. Il est possible qu’un sous-groupe de
personnes ayant un cerveau plus petit aient choisi de consommer du cannabis. Plus important encore,
les sujets qui avaient commencé à en fumer plus tôt consommaient également davantage de drogues
illicites autres que le cannabis. D’autres drogues pourraient avoir provoqué ces changements. L’alcool
pourrait avoir cet effet.

De plus, l’échantillon utilisé était relativement petit (57 personnes). Une répétition avec un plus grand échantillon d’utilisateurs ne présentant pas de différences quant à la consommation antérieure d’autres drogues pourrait se révéler fort utile. En dépit de ces réserves, la possibilité que le cannabis puisse compromettre le développement cérébral justifie la recommandation émise par l’Organisation nationale pour la réforme des lois sur la marijuana de ne pas consommer de cannabis avant l’âge adulte (NORML, 1996a).

Fonctions cérébrales

Bien que le cannabis n’ait pas d’effet sur la structure cérébrale chez l’adulte, des mesures sensibles des fonctions cérébrales révèlent de subtils changements associés à des années d’usage
régulier de cannabis.

Les résultats des études sur le débit sanguin cérébral, les ondes cérébrales et
les potentiels évoqués cognitifs suggèrent tous que la consommation chronique puisse entraîner une
altération des fonctions cérébrales et de la capacité de traitement de l’information, généralement après deux années d’usage quotidien.

Certaines fonctions pourraient revenir à la normale à la suite d’une période
d’abstinence. Les répercussions de ces modifications demeurent incertaines. Les anomalies subtiles des fonctions cérébrales ne se sont pas traduites par une diminution de l’aptitude à accomplir les tâches importantes de la vie quotidienne (Solowij,

1998 ; Patrick et collaborateurs, 2000). De plus, ces anomalies sont nettement moins importantes que
celles qui sont causées par l’alcool (Hesselbrock, Begleiter, Porjesz, O’Connor et Bauer, 2001). Comme
les usagers de cannabis qui ont consommé de la drogue sur une base quotidienne n’ont été choisis au
hasard dans aucune de ces études, l’état antérieur de leurs fonctions cérébrales est inconnu. Cependant,
au moins un aspect des changements des ondes cérébrales attribuables au cannabis semble revenir à la normale après une période d’abstinence (Solowij, 1988).

Grossesse

Les recherches sur de tout jeunes enfants ayant été exposés in utero à la marijuana ont montré peu d’effets ou des effets très peu importants, qui n’ont atteint le seuil de signifi cativité qu’en raison de la taille considérable des échantillons (Linn et collaborateurs, 1983 ; Fried, Watkinson et Willan,
1984 ; Witter et Niebyl, 1990).

En fait, les enfants de grands consommateurs jamaïcains sont apparus
moins irritables, plus alertes et plus stables (Dreher, Nugent et Hudgins, 1994). De plus, les habiletés cognitives des enfants jamaïcains de quatre ou cinq ans ne semblaient pas avoir été altérées par l’exposition
prénatale au cannabis (Hayes, Lampart, Dreher et Morgan, 1991). En revanche, les recherches
dans le cadre desquelles les enfants ont été suivis sur une période plus longue indiquent une association
possible entre l’exposition au cannabis pendant la gestation, d’une part, et des perturbations cognitives
et des problèmes de comportement, d’autre part.

Cependant, les femmes qui choisissent de consommer du cannabis pendant leur grossesse pourraient
elles-mêmes avoir présenté auparavant des troubles de comportement. Il est par conséquent difficile d’établir si ce sont l’exposition à la marijuana, des facteurs génétiques ou des carences parentales qui sont à l’origine des problèmes de leurs enfants.

Dans les études chez l’animal, ces difficultés peuvent être contournées si l’on administre la drogue à un échantillon aléatoire en s’assurant qu’un autre groupe ne reçoive aucune drogue. Les expérimentations
animales mettent en évidence que le THC, à des doses extrêmement élevées, peut augmenter la
probabilité de donner naissance à un bébé de faible poids tout comme accroître les risques d’avortement
spontané et de malformations congénitales ; la généralisation de ces données à l’être humain requiert
toutefois une grande prudence.



Ces réserves mentionnées, les enfants exposés au cannabis pendant la période prénatale ont montré des difficultés à accomplir une tâche exigeant une attention soutenue quand ils ont atteint l’âge de 6 ans (Fried, Watkinson et Gray, 1992). Dans le cadre d’une autre étude, les mères ayant fumé du cannabis pendant leur grossesse ont rapporté que leurs enfants étaient plus impulsifs et hyperactifs et qu’ils présentaient des défi cits de l’attention.

De plus, les enseignants de ces enfants les jugeaient plus délinquants. Le taux de délinquance était deux fois moindre chez les enfants dont les mères étaient demeurées abstinentes pendant leur grossesse en comparaison avec ceux dont les mères avaient fumé une cigarette de cannabis par jour. Ces effets ont été
confi rmés par le contrôle statistique des autres facteurs liés à ce problème, y compris la consommation
d’autres drogues par la mère, son état dépressif et son agressivité.

Ces données laissent supposer que l’exposition prénatale au cannabis puisse favoriser l’apparition de problèmes chez l’enfant de nombreuses années après sa naissance. Néanmoins, les auteurs préviennent qu’ils n’ont pas pris en considération les troubles de comportement de la mère dans leur étude. Les mères qui étaient elles-mêmes inattentives, hyperactives, impulsives ou délinquantes étaient peut-être plus susceptibles de consommer du cannabis pendant leur grossesse. Les problèmes constatés pourraient avoir une composante génétique : les enfants auraient pu être amenés à les éprouver en raison d’un facteur héréditaire,
indépendamment de leur exposition au cannabis.

Par ailleurs, il est possible que les mères présentant de telles caractéristiques aient des compétences
parentales inadéquates, ce qui pourrait également expliquer les problèmes de leurs enfants.
De plus, les chercheurs ont effectué des dizaines d’analyses pour ne trouver que quelques
effets significatifs et ils n’ont pas corrigé leurs données en fonction du nombre d’analyses réalisées.

En conséquence, certains résultats pourraient être simplement le fruit du hasard. Ainsi, il n’existe pas de lien clair et confi rmé entre l’exposition au cannabis pendant la gestation et l’apparition ultérieure de problèmes. Cependant, il est sans doute préférable que les femmes enceintes évitent de consommer une drogue, quelle qu’elle soit, pendant leur grossesse, puisque les conséquences à long terme sur les enfants d’une exposition
prénatale à la drogue sont souvent néfastes ou demeurent inconnues.

Dépendance au cannabis et problèmes associés

Plus de 42 000 personnes ont été interrogées dans le cadre de la première étape de l’une des études les plus exhaustives jamais menées sur la dépendance au cannabis. Six pour cent des répondants qui avaient fumé du cannabis au cours de l’année écoulée répondaient aux critères diagnostiques de la dépendance (Grant et Pickering, 1998). D’autres études se sont concentrées sur les conséquences négatives plutôt que sur les diagnostics.

Des recherches d’envergure sur les difficultés de fonctionnement social, les problèmes de santé et les symptômes psychologiques ont été entreprises récemment.

Quatre-vingt-cinq pour cent des répondants d’un grand échantillon de citoyens américains qui avaient fumé du cannabis au cours de l’année précédant l’enquête n’ont rapporté aucun de ces problèmes. Quinze pour cent en ont signalé au moins un ; 8 % au moins deux ; 4 % ont fait état d’au moins trois conséquences négatives qu’ils attribuaient au cannabis. Ainsi, plus de quatre personnes sur cinq ayant fumé du cannabis au cours de l’année n’ont rapporté aucun problème en relation avec la drogue (NIDA, 1991). Cependant, l’absence de groupe témoin rend l’interprétation de ces données extrêmement difficile.

Des personnes qui n’ont jamais consommé de drogue se disputent avec leur famille, perdent intérêt pour des activités et ont des problèmes de santé, elles aussi. Certains des usagers ayant participé à l’étude auraient peut-être présenté ces symptômes même s’ils n’avaient jamais fumé de cannabis. L’hypothèse tacite selon laquelle cette substance serait à l’origine de leurs problèmes n’a pas été vérifiée. Par conséquent, une telle approche surestime peut-être les conséquences négatives de la consommation de cannabis.

D’autres travaux de recherche appuient l’idée qu’un certain nombre d’utilisateurs font face à des
problèmes en relation avec la drogue. Environ 9 % des usagers faisant partie d’un groupe suivi sur une
période de cinq ans ont connu des difficultés (Weller et Halikas, 1980). Les chercheurs ont relevé des
problèmes dans trois domaines : effets néfastes de la drogue, difficultés à maîtriser la consommation
et conflits interpersonnels. Les effets néfastes de la drogue comprenaient des problèmes de santé physique,
des épisodes de voile noir (blackouts) et un sentiment subjectif de dépendance. Les difficultés à maîtriser la consommation étaient caractérisées par des périodes d’usage excessif de 48 heures, par la prise de cannabis tôt le matin et par l’incapacité de limiter la consommation. Les problèmes interpersonnels consistaient en des disputes avec des amis et des êtres chers. Les préoccupations au sujet de la consommation se rapportaient notamment à l’impression que la consommation de cannabis était devenue excessive, répréhensible ou source d’un sentiment de culpabilité.

Ainsi, de 6 % à 15 % des usagers réguliers éprouvent certains problèmes qu’ils attribuent au cannabis. Ces problèmes pourraient être moins graves que ceux qui sont associés à d’autres drogues ;

même les utilisateurs pour lesquels l’usage est problématique ne signalent pas tous l’acquisition d’une tolérance, par exemple. L’idée d’un syndrome de sevrage du cannabis chez l’humain demeure controversée, et l’administration d’antagonistes artifi ciels des récepteurs des cannabinoïdes a été nécessaire pour que les modèles animaux montrent des signes de sevrage (Smith, 2002).

Certaines études sur les problèmes liés au cannabis utilisent des mesures qui considèrent comme pathologique l’envie de consommer ou d’être sous l’effet du cannabis pendant les heures de travail. Malgré ces réserves, il demeure que certains usagers sont aux prises avec des diffi cultés en relation avec la drogue
et que plusieurs d’entre eux doivent demander de l’aide pour limiter leur consommation (Roffman et
collaborateurs, 1993). Cependant, leurs problèmes ne sont pas comparables à ceux qui sont associés à
l’usage de la cocaïne, de l’héroïne, de l’alcool ou de la nicotine (MacCoun et Reuter, 2001).

Problèmes pulmonaires

L’inhalation chronique de fumée peut endommager les poumons. La quantité de fumée inhalée par les consommateurs de cannabis est faible, mais les inquiétudes au sujet de problèmes pulmonaires semblent tout de même compréhensibles. Les utilisateurs faisant un usage chronique de cannabis présentent plus souvent que d’autres des troubles respiratoires tels que des épisodes de bronchite et une respiration sifflante ; on observe également, dans les cellules bronchiques des consommateurs faisant un usage quotidien de la substance, des modifications comparables à celles qui précèdent l’apparition d’un cancer du poumon.

Ces signes n’ont pas entraîné un accroissement du taux de mortalité chez les utilisateurs (Tashkin, 2001). Les problèmes pulmonaires disparaîtront si les usagers utilisent un vaporisateur au lieu de fumer la drogue. En effet, les nouveaux vaporisateurs chauffent le cannabis à une température inférieure à celle de son point de combustion, ce qui permet de libérer les cannabinoïdes tout en éliminant presque totalement les éléments nocifs (Chemic Laboratories, Inc., 2003). Une accessibilité accrue à cette nouvelle technologie pourrait faire
en sorte que les problèmes pulmonaires attribuables au cannabis deviennent chose du passé.

Conclusions sur les conséquences néfastes du cannabis

Les résultats de recherche confirment que le cannabis n’est pas complètement inoffensif pas plus qu’il n’est dangereusement toxique. En comparaison avec d’autres drogues présentement légales, l’impact du cannabis sur la santé est faible.

Nous retenons les conclusions suivantes. Les personnes souffrant de troubles psychotiques devraient probablement éviter de consommer du cannabis. L’usage chronique sur une base journalière est de toute évidence susceptible de réduire la capacité de réaliser rapidement des tâches complexes. Il ne fait pas de doute que fumer quotidiennement du cannabis est dommageable pour les poumons, mais la vaporisation pourrait permettre d’éviter ce problème. L’usage occasionnel par des adultes en santé ne semble pas causer de graves troubles de santé physique ou mentale. Un petit nombre d’utilisateurs réguliers signalent des
problèmes reliés à la drogue qui sont compatibles avec un diagnostic de dépendance, mais les phénomènes
associés à cette dépendance ne semblent pas aussi alarmants que ceux qui sont associés à la dépendance à d’autres drogues. Le cannabis semble entraîner moins d’effets néfastes sur la santé que des substances telles que l’alcool, la caféine ou le tabac et il est responsable de la mort de beaucoup moins de personnes ; une analyse particulière de ces effets est présentée dans des publications plus détaillées
(Zimmer et Morgan, 1997 ; Earleywine, 2002).

Pourquoi décriminaliser la possession de cannabis ?

Un grand nombre de prohibitionnistes soutiennent que les lois sur le cannabis ont été élaborées dans le but de réduire au minimum les dommages que cette drogue peut causer tant aux usagers qu’au reste de la société. Les travaux précédemment cités font clairement ressortir que ces dommages demeurent mineurs. De plus, les données disponibles permettent de croire que la prohibition et l’application stricte de la loi génèrent un marché clandestin, qui est susceptible d’engendrer la violence ; ces mesures ont notamment occasionné une augmentation du taux de meurtres (Miron, 1999).

Le marché clandestin peut également exposer les usagers occasionnels aux drogues dures. Il convient de noter que les fournisseurs de cannabis des Pays-Bas sont sensiblement moins portés à fournir des drogues dures à leurs clients que les revendeurs des États-Unis (Reinarman, 2003).

En dépit de ces possibles répercussions négatives, les partisans de la prohibition soutiennent que les faibles taux de consommation et de problèmes témoignent du succès des politiques de contrôle du cannabis. Selon les statistiques sur la consommation de cannabis aux États-Unis, environ le tiers des adultes ont déjà essayé cette drogue, mais seuls 3 % d’entre eux indiquent en consommer une fois par semaine ou plus souvent (SAMHSA, 2000). En règle générale, moins de 10 % des utilisateurs réguliers de cannabis éprouvent des problèmes attribuables à la drogue (Weller et Halikas, 1980).

Le cannabis cause beaucoup moins de dommages que les autres drogues, en particulier les substances licites que sont l’alcool et la nicotine. Peu de gens sont admis dans des programmes de traitement de la toxicomanie en raison de problèmes liés au cannabis. De même, personne ne met ses biens en gage ou ne se
tourne vers la prostitution afin de financer sa consommation de cannabis.

Les antiprohibitionnistes font valoir que ce n’est pas la législation sur les drogues qui explique le peu de dommages attribuables au cannabis. L’imposition de sanctions pénales pour les infractions en matière de drogues peut réduire la consommation de différentes façons : en suscitant la peur d’être appréhendé,
en provoquant une diminution de l’offre ou en entraînant une augmentation des prix. Cependant, la législation sur le cannabis semble avoir peu d’effet sur ces aspects. La plupart des non-utilisateurs disent ne pas consommer de cannabis pour des raisons personnelles et non par crainte d’être arrêtés, ce qui est remarquablement peu répandu dans les faits (Maloff, 1981).

La probabilité qu’un usager qui ne vend pas de drogue fasse l’objet d’une arrestation est inférieure à 3 % par année (MacCoun et Reuter, 2001).

Peu de consommateurs indiquent qu’ils modifieraient leur niveau de consommation si le cannabis était légalisé (Johnston et autres, 1981). Dans le cadre d’une enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1 400 adultes, 80 % des répondants ont déclaré qu’ils n’essayeraient pas le cannabis advenant sa légalisation (Dennis, 1990).

Cependant, une grande prudence est de mise dans l’interprétation de ces données. Il est bien connu que les gens expliquent rarement de façon satisfaisante pourquoi ils agissent de telle ou telle façon, ou comment ils agiraient si les circonstances étaient sensiblement différentes. Une chose demeure, néanmoins : peu de personnes signalent que la peur d’être appréhendées influence leur consommation de cannabis.

La prohibition a également peu d’impact sur la disponibilité. Depuis près de trente ans, plus de 80 % des élèves de dernière année du secondaire aux États-Unis rapportent qu’il leur est « assez facile » ou « très facile » de se procurer du cannabis (Johnston, Bachman et O’Malley, 1996). La plupart des adolescents trouvent même qu’il est plus difficile d’acheter de la bière que du cannabis (CASA, 1996), ce qui permet de penser qu’un marché légal réglementé puisse présenter des avantages par rapport au marché clandestin. L’illégalité du cannabis fait sans nul doute augmenter son prix, mais les usagers ne semblent pas s’en préoccuper, ou du moins ils y sont assez insensibles pour que l’effet des sanctions juridiques sur le prix de la substance les laisse indifférents (MacCoun et Reuter, 2001).

Le cannabis est en fait peu coûteux par rapport aux autres drogues, puisqu’il revient à seulement quelques
dollars par heure d’ivresse. Une personne qui ressent une fringale après avoir fumé du cannabis dépensera vraisemblablement plus d’argent pour se rassasier que ce que lui a coûté la substance. Ces données laissent supposer que les lois actuelles auraient peu d’infl uence sur la consommation puisqu’elles ne parviendraient pas à susciter la crainte des sanctions juridiques pas plus qu’elles ne réussiraient à réduire l’offre ou à faire grimper les prix de façon suffisante pour éliminer la demande.

Des enquêtes menées dans les régions où les lois ont été modifiées pourraient permettre de mieux cerner
l’impact de différentes politiques.

Expériences de décriminalisation Les études réalisées dans les endroits où le cannabis est décriminalisé révèlent certains des effets de l’imposition de sanctions juridiques. Les résultats de ces études varient : certaines font état de peu de changements dans l’usage ; d’autres laissent entrevoir une faible augmentation de la consommation, et ce, de nombreuses années après l’assouplissement des politiques et l’autorisation de
la commercialisation. Les Pays-Bas et l’Australie ont éliminé les sanctions pénales pour la possession
de quelques grammes de cannabis et des données sur l’impact de ces modifi cations législatives sont
disponibles. L’expérience de ces pays pourrait apporter un éclairage sur la question de la décriminalisation.

Les Pays-Bas

La décriminalisation du cannabis aux Pays-Bas demeure mal comprise par la plupart des gens.
Le cannabis et ses produits dérivés y sont toujours illicites, conformément aux traités internationaux.
Cependant, en 1976, les Pays-Bas ont cessé d’appliquer la loi dans les cas d’infractions liées à la
vente ou à la possession de 30 grammes ou moins de marijuana ou de haschich. Les Pays-Bas espéraient
que cette approche permette de dissocier le marché du cannabis de celui des drogues dures. Après
l’instauration de cette politique, de nombreux coffee shops se sont mis à vendre de la marijuana et du
haschich. On a donc émis des directives juridiques pour régir les activités de ces établissements : ils ne
sont pas autorisés à faire de la publicité, à permettre les jeux d’argent, à vendre des drogues dures et de
l’alcool, à admettre les jeunes au-dessous de 18 ans et ils ne doivent pas être situés à proximité d’une
école.

Les pressions internationales ont amené, en 1995, les autorités néerlandaises à réduire à cinq grammes la quantité maximale pouvant être vendue à l’occasion d’une transaction. Cependant, un client peut facilement acheter 30 grammes en se rendant dans six cafés différents...

Ces politiques controversées ont fait l’objet d’une attention considérable. Les opposants à la décriminalisation avaient prédit une augmentation vertigineuse de l’usage de cannabis. Cette prédiction
ne s’est pas réalisée : le taux de consommation de cannabis aux Pays-Bas demeure comparable à
celui qui est observé aux États-Unis. Les détracteurs craignaient tout particulièrement que cette
nouvelle approche ne vienne miner les efforts de prévention auprès des jeunes. Cette préoccupation
apparaît elle aussi infondée.

Les taux de consommation sont en fait moins élevés aux Pays-Bas que dans les endroits où l’on applique encore des peines sévères pour les infractions relatives au cannabis.

Selon des données récentes, seuls 21 % des citoyens néerlandais de 12-18 ans ont déjà essayé la drogue, comparativement à 38 % des citoyens américains du même groupe d’âge. Dans le cadre d’enquêtes récentes, seulement 11 % des jeunes  Néerlandais interrogés ont indiqué avoir fait usage de cannabis au cours du mois précédent, comparativement à 18 % des répondants américains du même groupe d’âge.
Cependant, l’usage de cannabis a connu une hausse dans un groupe d’âge depuis la modification
des politiques aux Pays-Bas, soit le sous-groupe des 18-20 ans : en 1984, 15 % des 18-20 ans avaient
essayé la drogue ; en 1996, la proportion était passée à 44 % (de Zwart, Stam et Kuiplers, 1997 ; NIDA, 1997). Cette augmentation, survenue huit ans après l’introduction des premières étapes de la décriminalisation, pourrait refléter un changement d’attitude progressif envers le cannabis. Cependant,
comme cette hausse s’observe spécifiquement chez les jeunes qui viennent d’atteindre l’âge légal minimal minimal pour la consommation, on peut croire à une certaine forme de rite de passage à l’âge adulte.

Il est possible, en effet, que les jeunes Néerlandais qui atteignent leurs 18 ans participent à une sorte de
fête d’initiation au cannabis, à l’instar des citoyens américains qui prennent une cuite pour célébrer leur 21e anniversaire de naissance. Un grand nombre de personnes craignent que la décriminalisation du cannabis n’entraîne une augmentation de la consommation d’autres drogues.

Si l’on en juge par les données sur les Pays-Bas, cette préoccupation n’est pas justifi ée. Bien qu’il
soit diffi cile d’interpréter les résultats de comparaisons établies entre différents pays, il n’en demeure
pas moins que les taux de consommation d’héroïne et de cocaïne sont plus faibles aux Pays-Bas que
dans des pays qui imposent des sanctions rigoureuses pour les infractions liées au cannabis. Le nombre
d’usagers d’héroïne par 100 000 habitants est nettement plus élevé aux États-Unis (308) qu’aux
Pays-Bas (160) (ministère de la Santé, du Bien-être et des Sports des Pays-Bas, 1995). De plus, moins
d’adolescents essaient la cocaïne aux Pays-Bas qu’aux États-Unis (Zimmer et Morgan, 1997). La
décriminalisation a peut-être affaibli le lien entre le cannabis et les autres substances illicites : les personnes
qui désirent se procurer du cannabis n’ont plus à le faire sur le marché clandestin, où elles étaient mises en contact avec des drogues dures, puisqu’elles peuvent désormais acheter leur cannabis dans des cafés, là où la cocaïne et l’héroïne sont interdites. La plus grande disponibilité du cannabis pourrait également avoir suscité une baisse d’intérêt pour les autres drogues.

Australie

Les données sur les politiques de décriminalisation ne proviennent pas toutes des Pays-Bas.
Deux des huit territoires australiens ont aussi décriminalisé la possession de moins de 25 grammes
de cannabis. La vente de cannabis et sa consommation dans les lieux publics demeurent illégales.
L’Australie méridionale et le Territoire de la capitale australienne prévoient une amende maximale
d’environ 200 $ pour la possession. Les contrevenants reçoivent un « avis d’expiation » (Cannabis
Expiation Notice) semblable à la contravention qui est imposée dans les cas d’infractions au code de
la route, et se font confi squer leur cannabis par les policiers.

Ceux-ci trouvent ces avis plus faciles à émettre et à justifier qu’une arrestation en bonne et due forme ; en conséquence, le nombre d’infractions enregistrées a connu une hausse spectaculaire.
Cette approche a augmenté la probabilité pour les consommateurs de faire l’objet d’une sanction pour
une infraction liée au cannabis, mais a réduit la gravité des peines imposées. Malgré ces modifications,
les taux de consommation de cannabis dans les régions de l’Australie où l’on a adopté une politique
de décriminalisation demeurent comparables à ceux qui sont observés dans les territoires où l’on applique
des sanctions plus rigoureuses (National Drug Strategy, 1995 ; McGeorge et Aitken, 1997 ; Ali et
collaborateurs, 1999).

Décriminalisation dans certains États américains

Selon les données en provenance des Pays-Bas et de l’Australie, la décriminalisation ne semble pas se traduire par une hausse de la consommation de cannabis. Cependant, beaucoup de citoyens américains considèrent que l’expérience des autres pays n’est pas applicable à leur propre situation. En fait, plusieurs Américains se voient comme faisant partie d’une classe à part. Il est néanmoins vrai que la comparaison de données entre divers pays ayant adopté des politiques différentes peut poser de nombreuses diffi cultés d’interprétation (MacCoun et Reuter, 2001). Les données qui proviennent des États-Unis sont peut-être les seules qui demeurent pertinentes.

En 1979, onze États avaient éliminé les sanctions pénales pour la possession de petites quantités de cannabis : l’Alaska, la Californie, la Caroline du Nord, le Colorado, le Maine, le Minnesota, le Mississippi, le Nebraska, New York, l’Ohio et l’Oregon.

Le District de Columbia, où est située la Maison-Blanche, a fait de même. (J’ajoute en aparté que ces États ont décriminalisé la possession de cannabis pour ce qu’ils estiment comme une petite quantité pour usage personnel. Cette quantité est de deux à six fois supérieure aux 15 grammes envisagés au Canada.)

Environ le tiers des citoyens américains vivent dans des États qui ont décriminalisé le cannabis.
Tout comme aux Pays-Bas et en Australie, la décriminalisation a eu peu d’effet sur la consommation de
cannabis aux États-Unis. Les niveaux de consommation des élèves de dernière année du secondaire
dans les États qui ont décriminalisé le cannabis étaient semblables à ceux qui étaient observés dans les États qui avaient maintenu les sanctions pénales (Johnston, Bachman et O’Malley, 1981). On a aussi constaté peu de changements dans la consommation chez les adultes en Californie, dans le Maine et en Oregon après la décriminalisation (Maloff, 1981).

L’expérience des autres États pourrait être comparable.
Les prohibitionnistes insistent sur le fait que la législation fédérale était toujours en vigueur au cours des périodes où le cannabis était décriminalisé dans certains États. Selon eux, les lois fédérales sur le cannabis pourraient avoir contribué à ce que la consommation ne grimpe pas en flèche dans les États qui avaient adopté une politique de décriminalisation. Ils font valoir que les données sur l’expérience des Pays-Bas et de
l’Australie permettent de croire que des sanctions pénales rigoureuses pour la possession n’exercent pas un effet dissuasif plus grand que de simples amendes civiles.

Cependant, toujours selon les prohibitionnistes, la décriminalisation pourrait envoyer le message que le cannabis est sans danger, d’où la possibilité d’une éventuelle augmentation de son usage et des problèmes qui y sont associés dans un avenir plus ou moins éloigné. Une modification de la législation fédérale pourrait avoir des répercussions à long terme que les données en provenance d’autres pays ne peuvent dévoiler.

Les coûts de la prohibition du cannabis

Il ressort des comparaisons établies entre les États américains qui ont décriminalisé le cannabis et ceux qui appliquent encore des politiques coercitives, que la prohibition n’offre aucun avantage.

Au contraire, la décriminalisation permet aux États de réaliser des économies et de réduire le fardeau
des contribuables. Quels que puissent être les bénéfices de la prohibition, il n’en demeure pas moins que cette approche engendre aussi des coûts, dont ceux qui découlent de l’application de la loi et des incarcérations. Certains de ces coûts peuvent toutefois aller au-delà de l’aspect économique.

Les méthodes de répression actuelles pourraient conduire à l’érosion des droits de la personne et miner la crédibilité de la loi aux yeux des citoyens. De tels coûts sont diffi ciles à évaluer. Les services
d’application de la loi ne font pas un rapport détaillé de leurs dépenses pour chacune des drogues qu’ils
cherchent à éradiquer. Les données budgétaires peuvent tout de même aider à dresser un bilan de la
situation. Le gouvernement des États-Unis dépense annuellement 15,7 milliards pour la lutte contre
la drogue (ONDCP, 1997a) ; les gouvernements des États et les administrations locales consacrent
environ 16 milliards par année à l’application des lois sur les drogues, pour un total s’élevant à près
de 32 milliards (ONDCP, 1997b).

En 1996, environ 43 % du 1,5 million d’arrestations (642 000) pour des infractions en matière de drogues concernaient le cannabis (FBI, 1997). Si toutes les inculpations occasionnaient les mêmes frais, on pourrait déduire que les États-Unis ont dépensé cette année-là 13 760 000 000 $ pour les arrestations liées au cannabis (environ 21 400 $ chacune). Cependant, il va de soi que certaines arrestations génèrent des frais
plus importants que d’autres. Même si les coûts de la lutte contre le cannabis étaient deux fois moindres,
il ne fait pas de doute que les citoyens américains auraient déjà dépensé des milliards pour essayer
d’éradiquer cette drogue, et tout semble indiquer qu’ils continueront à le faire.

Des inquiétudes ont également été soulevées quant aux répercussions de la prohibition sur les droits de la personne et sur le respect des citoyens envers la loi. Cette question a pris une importance particulière depuis la révision de la politique américaine au lendemain de l’attentat du World Trade Center. Le quatrième amendement de la Déclaration des droits de la Constitution des États-Unis protège les citoyens contre les fouilles effectuées sans « cause probable ».

De récentes affaires de drogue ont accordé aux agents de la force publique une latitude considérable dans l’interprétation de la notion de doute raisonnable et des justifi cations pouvant motiver une arrestation. Certains juges estiment cette latitude nécessaire compte tenu des stratégies ingénieuses employées par les narcotrafiquants. Des directives plus strictes pourraient réduire le nombre d’arrestations. Les critiques soutiennent qu’une telle approche, en accordant un pouvoir quasi illimité aux forces de l’ordre, viole fondamentalement le quatrième amendement de la Constitution des États-Unis. Ils citent des malentendus qui ont donné lieu à des fouilles illégales et qui se sont parfois même soldés par des pertes de vie ; certaines
activités avaient été erronément interprétées comme des transactions de drogue dans des quartiers défavorisés.

Il est impossible d’évaluer avec exactitude ces coûts de la prohibition ou de les mettre en balance avec les coûts potentiels d’une diminution de nombre d’arrestations (Ostrowski, 1998).

Toutes ces préoccupations au sujet des violations des droits de la personne découlant des mesures d’application de la loi pourraient conduire à une perte de respect généralisée envers l’appareil judiciaire. Un grand nombre de citoyens considèrent comme excessives les sanctions imposées pour la possession de cannabis et ont l’impression que les minorités ethniques sont injustement ciblées par les policiers. Les données disponibles leur donnent raison.

Les gens de race blanche sont, en effet, sous-représentés dans les arrestations pour des infractions
liées au cannabis. Si l’on tient compte du nombre de personnes de race blanche qui indiquent consommer du cannabis, la proportion de celles appartenant à des minorités et qui se retrouvent de vant les tribunaux en raison d’infractions relatives au cannabis est disproportionnée (Mandel, 1988).

Bien des gens estiment qu’il est hypocrite d’interdire le cannabis alors que l’on autorise l’alcool et le
tabac. En conséquence, non seulement l’efficacité de la législation sur les drogues se voit-elle compromise,
mais certains citoyens respectueux de la loi pourraient aussi en venir à perdre tout respect envers le système de justice (Packer, 1968).

Pourquoi ne pas tout simplement légaliser ?

À la lumière des problèmes générés par la prohibition, la légalisation apparaît comme une solution de choix. Les arguments éthiques gravitant autour de l’idée que toute personne devrait avoir le droit de consommer ce qu’elle veut sont étudiés en détail dans d’autres publications (Szasz, 1992 ; Sullum, 2003). Si un marché légal réglementait le cannabis de la même façon que les produits agricoles, on pourrait assurer le contrôle de la qualité et de la sécurité. L’imposition d’une réglementation semblable à celle dont font l’objet l’alcool et les produits du tabac contribuerait aussi à ce que le cannabis ne se retrouve pas entre les mains des enfants.

Cependant, les données sont insuffisantes pour pouvoir même spéculer sur les retombées d’un modèle de
légalisation. Aucun pays, État, territoire ni province n’a jamais eu la possibilité de tenter une expérience
de légalisation du cannabis, et ce, en raison des accords internationaux en vigueur.

La mise en place d’un marché légal réglementé du cannabis ne se traduirait pas nécessairement par une augmentation des dommages attribuables à cette drogue. Compte tenu des faibles risques que
présente le cannabis, même une hausse abrupte du nombre d’usagers occasionnels n’aurait pas pour effet
de créer davantage de problèmes. L’idée demeure controversée en raison de la rhétorique américaine
prônant « une Amérique sans drogue » (si l’on en juge par les actions récentes des États-Unis, il semblerait
que l’Amérique latine et le Canada soient également visés). Le fait que la consommation de cannabis n’entraîne aucun problème pour la vaste majorité des usagers semble être une aberration pour de nombreuses personnes, y compris celles qui boivent de l’alcool sans subir de conséquences désastreuses. Un marché légal du cannabis pourrait également permettre d’augmenter les recettes fiscales de façon plus que substantielle. Avec l’argent amassé, on pourrait financer des programmes de prévention et améliorer les traitements offerts au petit nombre d’utilisateurs qui éprouvent des problèmes.

Les sources réglementées d’approvisionnement de cannabis pourraient aussi proposer de la documentation détaillée sur les symptômes initiaux de la consommation excessive ; elles dirigeraient les clients pour lesquels l’usage est problématique vers des professionnels de la santé mentale spécialisés dans la consommation de cannabis, qui pourraient les aider à adopter des habitudes sécuritaires.

En dépit des avantages potentiels d’un marché légal du cannabis, l’approche de la légalisation reçoit peu d’appui aux États-Unis. De plus, ce pays est réputé (ou mal réputé) pour son entrepreneurship et son esprit capitaliste. Un marché légal pourrait facilement se transformer en un marché hypercommercialisé, un marché susceptible de créer de nouveaux consommateurs de cannabis.

Les lois qui réglementeraient la commercialisation du cannabis disparaîtraient sans doute au fi l des ans -- comme on l’a observé, depuis les années 1930, dans le cas de l’alcool (MacCoun et Reuter, 2001). Une augmentation du nombre d’usagers ne se traduirait pas forcément par des dommages plus grands, mais l’idée prête trop à controverse pour susciter l’adhésion de l’électeur américain moyen.

Peut-être qu’une expérience de décriminalisation réussie pourrait préparer le terrain pour l’adoption
ultérieure d’une politique de légalisation.

Modèles de décriminalisation
En règle générale, les propositions de décriminalisation vont des modèles qui sont employés dans certains États américains à des modèles qui s’apparentent davantage à celui qui est appliqué aux Pays-Bas. Plusieurs États américains ont maintenu l’interdiction de produire et de distribuer du cannabis, tout en décriminalisant la possession de petites quantités pour usage personnel. Des sanctions civiles sont imposées aux contrevenants, qui sont passibles d’une amende maximale de 500 $.

Cette approche possède le mérite d’éliminer les peines d’emprisonnement, sans nul doute l’une des conséquences les plus dramatiques de la consommation de cannabis. Les données disponibles indiquent que
la décriminalisation s’est traduite par une diminution des coûts d’application de la loi ; la Californie aurait économisé environ 1 milliard de dollars sur une période de cinq ans, selon les estimations réalisées (Aldrich et Mikiyura, 1988). Comme il a été mentionné plus haut, aucune hausse vertigineuse des taux de consommation n’a été observée dans les États qui ont décriminalisé le cannabis par rapport à ceux qui imposent toujours des sanctions pénales.

L’augmentation signalée dans certains rapports pourrait venir du fait que les gens deviennent plus enclins à admettre leur consommation de cannabis une fois les sanctions pénales supprimées. La question de défi nir ce qu’est une « petite quantité pour usage personnel » est au coeur de toutes les propositions de décriminalisation. Le Canada a suggéré 15 grammes ; l’Ohio a décriminalisé la possession de 100 grammes. Une petite réflexion sur la consommation pourrait se révéler utile pour éclaircir la question. L’évaluation de ce que pourrait être une « limite raisonnable » ne va cependant pas sans la formulation de nombreuses hypothèses. Il convient de noter que l’éventail des réactions individuelles au cannabis est de surcroît très large. L’estimation du temps moyen de la durée d’action d’une dose de cannabis ne peut pas faire l’unanimité. Nous pensons que la plupart des usagers seraient d’accord pour dire que les effets de un gramme de cannabis durent plus ou moins quatre heures.

Ainsi, pour passer huit heures par semaine sous l’effet du cannabis, un usager aurait besoin d’environ
deux grammes hebdomadairement, soit 104 grammes par année (un peu moins de quatre onces).
Ces huit heures par semaine représentent plus de temps que ce que la plupart des gens passent dans des lieux de culte, mais moins du tiers du nombre d’heures que l’Américain moyen passe devant le petit écran (A.C. Nielson Co., 1998). Une limite de 100 grammes semble donc pouvoir être considérée comme une quantité pour usage personnel. Les personnes qui auraient besoin d’une plus grande quantité pour des raisons médicales pourraient obtenir des ordonnances.

Cannabis thérapeutique

L’usage thérapeutique du cannabis et des cannabinoïdes remonte à des milliers d’années.
La question d’établir leur valeur thérapeutique demeure complexe. Les coûts et les bénéfices de la marijuana fumée peuvent varier grandement compte tenu de la gamme de réactions individuelles aux médicaments. Des produits qui donnent des résultats pour la vaste majorité des patients ont parfois peu d’effets sur d’autres.

Ces réactions idiosyncrasiques laissent supposer que les patients et les praticiens ne pourraient juger de l’utilité des cannabinoïdes que sur une base individuelle. De façon générale, les cannabinoïdes sont
prometteurs sur le plan thérapeutique, mais un grand nombre d’études sont toujours requises. Les patients signalent que le cannabis fumé présente des avantages par rapport au THC par voie orale. Fumer le cannabis permet d’évaluer rapidement ses effets et de modifi er facilement le dosage en conséquence, ce qui permet de réduire au minimum les conséquences indésirables. Le fait que le cannabis soit présentement classé,
aux États-Unis, dans l’Annexe I rend l’examen de ses propriétés médicinales très difficile pour les chercheurs américains. La plupart des études médicales officielles portent sur le dronabinol (THC synthétique administré sous forme de comprimés).

Quelques résultats concordants peuvent être relevés dans la documentation sur le cannabis thérapeutique. Le THC réduit clairement la pression intraoculaire dans les cas de glaucome, mais d’autres médicaments fonctionnent mieux. Le cannabis fumé et le THC peuvent soulager la douleur aussi effi cacement que des analgésiques établis telle la codéine. Le cannabis fumé tout comme le THC par voie orale peuvent aussi réduire les nausées et les vomissements ; d’autres antiémétiques peuvent se révéler plus efficaces, mais ils sont souvent beaucoup plus onéreux.

Tant le cannabis fumé que le THC peuvent stimuler l’appétit des patients souffrant du cancer ou du sida (le cannabis fumé présente des avantages établis par rapport au THC par voie orale pour cette dernière indication). Tous deux peuvent également faciliter la prise de poids des patients, mais les médicaments expérimentaux, bien que nouveaux, pourraient permettre une augmentation plus importante de la masse maigre.

De nombreuses études de cas et quelques essais contrôlés laissent supposer que le cannabis puisse diminuer la spasticité associée aux lésions de la moelle épinière et à la sclérose en plaques. Les résultats sont moins convaincants en ce qui a trait aux dyskinésies, y compris la chorée de Huntington et la maladie de Parkinson. La marijuana fumée et le cannabidiol par voie orale pourraient diminuer les crises d’épilepsie. Des auteurs d’études de cas sont en faveur de l’utilisation du cannabis pour traiter de nombreux autres problèmes médicaux.

Les traitements combinés qui recourent aux cannabinoïdes et aux médicaments classiques sont très prometteurs, mais des études sont encore nécessaires. La poursuite des travaux sur les applications médicales de la marijuana et des cannabinoïdes pourrait contribuer à faire la lumière sur le fonctionnement du système cannabinoïde.

Grâce à ces études, on pourrait également améliorer les traitements offerts à plusieurs personnes souffrant de maladies multiples. Tant les chercheurs que les patients ont exprimé plusieurs préoccupations quant à l’usage du cannabis comme médicament. Les effets secondaires possibles de cette substance sont notamment
les vertiges et tous les effets psychotropes qui ont amené les gens à en consommer de façon récréative.

Cependant, les patients notent l’apparition d’une tolérance aux troubles de l’orientation causés par le cannabis, ce qui leur permet de fonctionner mieux qu’ils ne le feraient s’ils devaient subir les symptômes de leur maladie.

D’autres médicaments pourraient procurer un soulagement comparable sans entraîner ces effets indésirables ; par conséquent, de nombreuses personnes recommandent de n’utiliser le cannabis thérapeutique qu’en dernier recours. Beaucoup de personnes signalent que ce sont les effets secondaires des médicaments classiques qui les ont d’abord amenés à recourir au cannabis (Randall et O’Leary, 1998). D’autres sont
préoccupées par l’effi cacité variable du cannabis, mais soulignent qu’elles peuvent modifier leur
dosage extrêmement rapidement avec le cannabis fumé ou les vaporisateurs. Des revues complètes
et détaillées de cette vaste documentation figurent dans d’autres publications (Institute of Medicine,
1999 ; Earleywine, 2002).
Compte tenu de toutes les possibilités thérapeutiques du cannabis, les personnes qui en consomment à des fi ns médicales pourraient avoir besoin de quantités plus importantes que les autres usagers. Cela ne veut pas nécessairement dire, cependant, qu’elles devraient s’en procurer de plus grandes quantités à la fois. Une limite de 100 grammes pour usage personnel pourrait se révéler suffi sante pour un grand nombre de patients, qui n’auraient qu’à rendre visite à leur fournisseur plus souvent. Ces allers-retours fréquents pourraient néanmoins devenir un fardeau inutile pour les malades chroniques et les personnes qui prennent
soin d’eux. Il serait peut-être facile de faire en sorte que certaines personnes puissent obtenir, sur ordonnance, des quantités plus importantes.

Une telle façon de procéder pourrait atténuer les craintes des citoyens préoccupés par la possibilité d’usage
excessif de cannabis tout en tenant compte des besoins des patients. Par contre, l’idée qu’un adulte ait besoin de la permission écrite d’une autre adulte pour acheter ou détenir un médicament a un côté
paternaliste et contrôlant. Les critiques formulées en ce sens sont nombreuses et convaincantes (Szasz,
1992 ; Sullum, 2003).
Aucune des applications thérapeutiques du cannabis n’a été approuvée par la Drug Enforcement Agency aux États-Unis, malgré la documentation du gouvernement fédéral sur les propriétés de la substance (Institute of Medicine, 1999).

Cependant, l’appui au cannabis thérapeutique ne cesse de croître. L’Alaska, la Californie, le Colorado,
Hawaii, le Maine, le Nevada, l’Oregon et l’État de Washington ont adopté des lois afin d’empêcher que
les personnes utilisant le cannabis pour des raisons médicales ne soient soumises à des arrestations ou
à des peines d’emprisonnement. Le Maryland a récemment allégé les sanctions imposées pour la
possession de marijuana dans le cas de patients gravement malades et l’État de New York envisage
de prendre des mesures semblables. Des enquêtes indiquent que 80 % des citoyens américains sont en
faveur de l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques (Stein, 2002).

Faisant fi des peines minimales obligatoires imposées par le gouvernement des États-Unis, un juge fédéral a condamné Ed Rosenthal, fervent activiste de la lutte pour la réforme des lois sur le cannabis et producteur de cannabis thérapeutique, à un seul jour de détention pour la production d’une quantité de plants qui aurait pu l’amener à passer des dizaines d’années derrière les barreaux. Des membres du Congrès américain ont présenté des projets de loi visant à éliminer toute ingérence fédérale dans les États qui autorisent
la distribution du cannabis utilisé à des fins thérapeutiques.

La politique américaine fédérale sur le cannabis thérapeutique pourrait être modifiée dans un avenir rapproché. Tous les États américains pourraient éventuellement bénéficier du droit de distribuer du cannabis thérapeutique à l’intérieur de leurs frontières sans faire l’objet d’une ingérence de la part de l’administration fédérale.

Pourquoi permettre la culture personnelle ?

La décriminalisation de la possession de cannabis entraînerait des économies sans générer une augmentation notable de la consommation. Cependant, cette approche présente l’inconvénient de ne rien prévoir pour réduire l’ampleur du marché clandestin, où circulent des drogues dures. En décriminalisant décriminalisant
le cannabis sans fournir une source légale d’approvisionnement, on invite pour ainsi dire les consommateurs à fréquenter le marché clandestin, situation susceptible d’entraîner de graves conséquences.

En effet, en se procurant leur cannabis sur ce marché, les usagers risquent d’être davantage exposés aux drogues dures, d’où une probabilité plus grande qu’ils essaient la cocaïne ou l’héroïne.
La séparation du marché du cannabis de celui des autres drogues pourrait diminuer la consommation
de drogues dures. Dans le cadre d’une étude souvent citée par les prohibitionnistes, Model (1993) a
constaté que les patients admis en salle d’urgence mentionnaient plus souvent faire usage de cannabis
dans les États ayant adopté une politique de décriminalisation.

Le fait que le cannabis y soit décriminalisé pourrait avoir amené les utilisateurs à parler plus ouvertement de leur consommation. Model souligne également que l’usage de drogues dures avait diminué chez ces patients. La chercheuse interprète ces données comme une indication que le cannabis, une fois décriminalisé, peut servir de substitut aux drogues dures. Il ne fait pas de doute, répétons-le, que la suppression des sanctions pénales pour la possession simple de cannabis comporte des avantages. Cependant, en l’absence d’une source légale d’approvisionnement, la décriminalisation ne fait qu’entretenir un marché clandestin. Autoriser
la culture personnelle de cannabis pourrait contribuer à éliminer ce problème facilement.

Des consommateurs dévoués pourraient produire suffi samment de cannabis pour combler leurs besoins personnels et en offrir à leurs amis. Les sanctions pénales imposées pour la vente pourraient être maintenues. L’Alaska a appliqué ce modèle avec un succès considérable pendant de nombreuses années. Une telle approche non seulement présente tous les avantages associés à la suppression des sanctions pénales, mais permet également de s’attaquer au marché clandestin et d’éviter les complications administratives que suppose la mise en oeuvre d’autres modèles. De plus, elle n’est pas susceptible d’entraîner la commercialisation du cannabis, laquelle pourrait susciter une hausse de la consommation.

Encore une fois, la défi nition de la quantité qui devrait être autorisée soulève des questions. Combien
de plants peuvent suffi re à la consommation d’une personne ? La quantité de cannabis produite par un plant peut varier de façon importante en fonction de l’environnement et des talents du jardinier.

À un certain moment, l’Australie méridionale n’a imposé que des sanctions civiles aux personnes qui cultivaient dix plants de cannabis ou moins. Les responsables de l’application de cette loi ont estimé que trop de cannabis se retrouvait sur le marché clandestin en raison de la limite généreuse qui avait été fixée ; ils prétendaient que des membres du crime organisé avaient mis sur pied des réseaux de « cultivateurs » qui s’occupaient chacun de dix plants. On a par conséquent recommandé que cette limite soit ramenée à quatre plants. Après avoir autorisé la culture personnelle, l’Australie méridionale n’a pas connu une hausse du nombre d’usagers hebdomadaires de cannabis par rapport aux autres territoires du pays, ce qui permet de croire qu’il s’agit d’un bon moyen de tenir le cannabis à l’écart du marché des drogues dures (Ali et collaborateurs, 1999).

Conclusions

Des millions de citoyens américains ont déjà consommé du cannabis sans subir de conséquences
désastreuses. La recherche dément la justesse des craintes répandues quant à certains des effets nocifs
présumés de cette drogue. Les préoccupations exprimées au sujet de la toxicité, du syndrome amotivationnel, des maladies mentales et des atteintes de la structure cérébrale chez l’adulte sont infondées.
Il a été démontré, par contre, que l’usage quotidien de cannabis peut causer à long terme une altération
des fonctions cérébrales.

La consommation journalière de cannabis accroît aussi le risque de troubles respiratoires, mais les nouveaux vaporisateurs pourraient contribuer à éliminer les problèmes pulmonaires attribuables à cette drogue. De plus, on sait que les adolescents devraient s’abstenir de prendre du cannabis. Un certain nombre d’utilisateurs réguliers présentent des symptômes de dépendance ou de consommation excessive, mais les conséquences ne sont pas aussi dramatiques que dans le cas des autres drogues, l’alcool et le tabac y compris.

La politique prohibitionniste menée depuis maintenant 66 ans a imposé un fardeau accablant aux contribuables américains. Comme le nombre d’arrestations liées au cannabis dépasse souvent les
700 000 par année (FBI, 2001), il ne fait pas de doute que la prohibition draine les ressources allouées
à l’application de la loi et au système de justice. Des expériences de décriminalisation ont montré qu’une
telle politique permettait de réduire les dépenses publiques de façon considérable, sans pour autant
entraîner une hausse de la consommation. L’expérience des Pays-Bas, de deux territoires australiens
et de quelques États américains s’est soldée par des résultats positifs. Les agents de la force publique
peuvent imposer des amendes pour la possession de petites quantités. Le fait de consommer du cannabis
ou d’être sous l’effet de cette drogue dans des lieux publics, de vendre du cannabis et d’en distribuer
aux mineurs continue de faire l’objet de sanctions pénales.

À elle seule, la Californie a réalisé des économies de plus de un milliard de dollars grâce à la décriminalisation. Cependant, cette approche présente l’inconvénient de ne pas prévoir une source légale d’approvisionnement. En permettant à chaque adulte de cultiver quatre plants pour sa consommation personnelle, on pourrait dissocier le marché du cannabis de celui des drogues dures et ainsi faire en sorte que les usagers ne soient plus obligés de s’approvisionner auprès de trafiquants qui pourraient leur proposer d’autres drogues potentiellement très dommageables.

Cette mesure pourrait se révéler tout particulièrement bénéfique pour les personnes consommant du cannabis pour des raisons médicales. L’Australie méridionale a appliqué cette approche sans connaître d’augmentation de la consommation de la substance. Les États-Unis, le Canada et d’autres pays pourraient, sans l’ombre d’un doute, tirer profit de cette expérience.

Le système endocannabinoïde central

Le système endocannabinoïde central

Le système dit «endocannabinoïde» pourrait tout à fait être dénommé autrement, tant il apparaît plus large et plus complexe que celui finalement relativement restreint des cannabinoïdes exogènes.

Jusqu’à ce jour, les études sur les cannabinoïdes, puis sur les endocannabinoïdes, vont de rebondissements en remise en cause de concepts établis. Ainsi, on attendait un alcaloïde comme principe actif du cannabis, pour finalement identifier un terpénoïde (Δ9-tétrahydrocannabinol).

Étant donné sa nature chimique, ce dernier devait théoriquement agir de manière indépendante de tout récepteur; or, deux récepteurs ont déjà été clonés (CB1 et CB2) et l’existence d’autres récepteurs est très probable.

La recherche des ligands endogènes a réservé une surprise de taille aux scientifiques: ce sont des
composés lipidiques (cinq ont été identifiés à ce jour); à peine deux d’entre eux avaient-ils été classés comme des neurotransmetteurs à part entière que leur capacité d’agir comme des messagers neuronaux rétrogrades a été mise en évidence.

Enfin, les endocannabinoïdes activent des récepteurs, tels que les vanilloïdes, appartenant à d’autres familles, et peuvent donc moduler de manière extrêmement fine de multiples voies de transduction du signal et de l’information, étendant des perspectives thérapeutiques déjà très prometteuses.

Au milieu du XIXe siècle, les chimistes recherchant le principe actif de la plante Cannabis sativa explorèrent, par analogie avec d’autres phytocomposés psychoactifs identifiés (morphine et cocaïne), la piste d’un alcaloïde.
Celle-ci égara les recherches pendant plus de 100ans, puisqu’il faut attendre 1964 et les travaux du groupe de Raphael Mechoulam pour obtenir la purification et l’identification du principe actif du cannabis:
le Δ9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC), qui s’avéra finalement être un terpénoïde (Figure 1). La chimie des cannabinoïdes (CB) connut un fulgurant essor tandis que, paradoxalement, leurs mécanismes d’actions
moléculaires demeuraient flous.

En effet, le Δ9-THC était supposé appartenir au groupe des lipides bioactifs, et donc avoir des mécanismes d’action comparables à ceux des anesthésiques et solvants, c’est-à-dire indépendants d’une liaison à un récepteur. Or, la stéréospécificité de l’action du Δ9(-)-THC fut mise en évidence, favorisant l’hypothèse
de l’existence d’un récepteur pouvant lier ces molécules psychoactives. En 1990, le premier récepteur
des CB (CB1) fut cloné dans le système nerveux central (SNC) [1], ouvrant la voie à la recherche d’un système endocannabinoïde (endoCB). En effet, s’il existait un récepteur d’un composé exogène d’origine végétale (Δ9-THC), une ou des molécules endogènes agonistes de ce récepteur existaient probablement (de manière similaire au trio opiacés/peptides opioïdes endogènes/récepteurs opioïdes).

Là encore, de nombreuses pistes infructueuses furent explorées: aucun des neurotransmetteurs, hormones ou
diverses substances biologiquement actives ne se lièrent au récepteur CB1. La nature chimique de l’agoniste endogène constitua, encore une fois, le principal frein à son identification: il s’agissait d’un acide gras; or, une telle molécule n’était pas le meilleur candidat pour être agoniste d’un récepteur.

De plus, sa purification constituait un tour de force technique, qui fut également réalisé par le groupe de R. Mechoulam [2]. Cet endocannabinoïde (endoCB), l’arachidonoyléthanolamide, fut dénommé anandamide
(AEA), fusion des mots ananda, signifiant bonheur suprême en sanskrit, et d’«amide», du fait de sa structure
chimique. Rapidement, un second récepteur des CB (CB2) fut cloné à partir de rate de rat [3, 9], puis
d’autres molécules endogènes pouvant se lier aux récepteurs CB furent identifiées. La mise en évidence
d’un véritable système endoCB était en cours.

Le système endocannabinoïde

Il est composé de récepteurs, d’endoCB et des systèmes de synthèse, transport et dégradation de ceux-ci [4].
Un endoCB est une molécule endogène capable de se lier à un récepteur cannabinoïde (identifié grâce à des
CB exogènes synthétiques) et d’activer les voies de transduction du signal auxquelles est couplé le récepteur.
Cinq ont été identifiés: trois anandamides, le 2-arachidonoyl glycérol (2-AG) et le 2-AG éther (Figure1).

Les études, qui ont principalement porté sur le «vrai» anandamide (AEA) et le 2-AG, montrent qu’ils
possèdent toutes les caractéristiques des neurotransmetteurs « classiques », à une exception près, leur
mode de stockage et de libération: en effet, les neurotransmetteurs «classiques» sont synthétisés dans le
cytoplasme des neurones, puis stockés dans des vésicules synaptiques à partir desquelles ils sont libérés par
exocytose dans la fente synaptique.

Les endoCB sont synthétisés (dans les neurones et les astrocytes) «à la demande», après stimulation de différents récepteurs conduisant à l’hydrolyse de précurseurs lipidiques membranaires. De par leur nature lipidique, ils ne sont donc pas stockés dans des vésicules synaptiques, et diffusent librement après leur production [8].
Les récepteurs cannabinoïdes appartiennent à la famille des récepteurs à 7 domaines transmembranaires,
groupe 1 de la famille A, et sont couplés à des protéines G. Le récepteur CB2 présente 44% d’homologie
avec le CB1. Si le profil d’expression du CB1 est extrêmement large (système nerveux central, tissus périphériques), celui du CB2 semble restreint aux cellules du système immunitaire. CB1 est ainsi plutôt
impliqué dans les effets psychotropes des CB, alors que CB2 l’est dans leurs effets immunomodulateurs. Le CB1 est l’un des récepteurs dont le taux d’expression est le 46



Figure 1. Structures chimiques du Δ9(-)-THC (A), des endocannabinoïdes (endoCB): anandamide (AEA) (B), homo-γ-linolényl éthanol amide (C), docosatétraénoyl éthanol amide (D), 2-arachidonoyl glycérol (2AG) (E) et 2-arachidonoyl glycérol éther (F), ainsi que de l’olvanil (G), agoniste des récepteurs
vanilloïdes VR1. Cinq endoCB ont été identifiés: les anandamides, trois éthanol amides dérivant d’acides gras différents, qui comprennent non seulement la «vraie» anandamide (AEA) (20:4, n-6, arachidonoyl éthanol amide) (B) [2], mais aussi le 22:4, n-6, docosatétraénoyl éthanol amide (D) et le 20:3, n-6,
homo-linolényl éthanol amide (C) [5]. De ces trois composés, l’anandamide possède la meilleure efficacité pour les récepteurs CB. Le 2-AG est un ester de l’acide arachidonique (E) [6] et le 2-AG éther (noladin éther ou 2-AGE), un éther de l’acide arachidonique (F) [7]. Les concentrations d’AEA dans le cerveau
sont comparables à celles de la dopamine ou de la sérotonine. Les principaux lieux de synthèse de l’AEA sont ceux dans lesquels a été montrée une forte expression du CB1. Contrairement à l’AEA, le 2-AG est un agoniste entier du récepteur CB2. D’après des expériences de structure-activité, le CB2 serait originellement
le récepteur «2-AG». En fait, le 2-AG serait le «vrai» agoniste des récepteurs CB1 et CB2. L’AEA possède une affinité légèrement moindre pour le CB1 et très faible pour le CB2, ce qui expliquerait que l’AEA puisse activer d’autres récepteurs, tels que les récepteurs vanilloïdes, ce qui n’est pas le cas du 2-AG. Les concentrations de 2-AG dans le cerveau sont environ 170 fois supérieures à celles de l’AEA.

plus élevé dans le SNC, mais quasiment absent du tronc cérébral, en accord avec l’absence de toxicité aiguë et de doses létales des dérivés du cannabis. Plusieurs études ont montré, pharmacologiquement [10] ou
grâce à des lignées de souris CB1-/- [11, 12], qu’il devait exister au moins un autre récepteur CB.
Le métabolisme des endocannabinoïdes a surtout été étudié pour l’AEA et le 2-AG [8, 13]. On peut noter que ce système endoCB semble être très ancien d’un point de vue phylogénétique, puisqu’il est présent des invertébrés jusqu’aux vertébrés, à l’exception notable des insectes.

Endocannabinoïdes et voies de signalisation intracellulaire

Les endoCB agissent principalement sur trois voies de signalisation intracellulaire: la modulation de l’adénylate cyclase, la modulation de la perméabilité de certains canaux ioniques et l’activation de la voie des protéine kinases activées par des agents mitogènes (MAP kinases) [14, 15] (Figure 2).

Les études ont montré que l’AEA active le récepteur VR1, alors que le 2-AG est incapable de s’y fixer [12].
Ce constat est capital pour l’orientation des recherches futures, puisque qu’il indique une quasi-dichotomie au sein des endoCB: le 2-AG serait le «véritable» endoCB, tandis que l’AEA serait un trans endoCB pouvant activer les CB1-2, mais aussi d’autres récepteurs.

Fonctions des endocannabinoïdes dans la neurotransmission: des messagers à contre-courant

Les effets psychotropes des dérivés du cannabis sont dus à l’action de leurs principes actifs appelés phytoCB (dont le Δ9-THC), qui prennent la place des endoCB sur les récepteurs CB1 centraux [14]. Les zones de forte expression des récepteurs CB1 sont les ganglions de la base, le cervelet (effets réversibles sur les performances psychomotrices et la coordination motrice), l’hippocampe (effets réversibles sur la
mémoire à court terme et les fonctions cognitives) et le cortex, surtout au niveau des fibres et des terminaisons présynaptiques, plus faiblement dans les dendrites et les soma des neurones principaux.

L’activation des CB1 par les endoCB inhibe différents canaux calciques et module certains canaux potassiques présents à la fois sur les corps cellulaires et les prolongements axonaux [14]. Cela entraîne une réduction de la libération de neurotransmetteurs, de la durée du potentiel d’action et de la fréquence de décharge neuronale, à l’origine d’une mise sous silence transitoire (d’où l’absence d’effets neurotoxiques) des neurones exprimant les CB1.

Si l’activation des récepteurs CB1 entraîne une inhibition de l’activité de certains neurones, cela ne signifie
pas pour autant que les cannabinoïdes sont «inhibiteurs » des fonctions cérébrales. En raison d’effets de
circuits, par exemple d’un effet de «désinhibition» par lequel les endoCB peuvent activer un circuit en inhibant des voies inhibitrices, les cannabinoïdes ont également la capacité, in fine, de provoquer l’excitation de populations neuronales ou de noyaux cérébraux [23].

Les endoCB sont capables, du fait de leur mode de production «à la demande» et de leurs propriétés chimiques particulières, d’intervenir «à contre-courant» de la transmission synaptique pour moduler de manière transitoire ou durable la libération de neurotransmetteurs [24, 25]. Dès 1991, l’équipe d’Alain Marty avait observé que la dépolarisation des cellules de Purkinje dans le cervelet entraînait une diminution, durant plusieurs dizaines de secondes, des événements postsynaptiques spontanés inhibiteurs GABAergiques (sIPSC) [26].

Ce nouveau phénomène, appelé DSI (depolarization induced suppression of inhibition), ne semblait pas d’origine postsynaptique (l’amplitude des sIPSC n’étant pas altérée lors du phénomène), mais présynaptique (la fréquence des sIPSC étant diminuée).

Une DSI a également été rapportée au niveau des synapses GABAergiques de l’aire CA1 de l’hippocampe [27].

Le messager rétrograde à l’origine de ce curieux mode de régulation de la présynapse par l’activité postsynaptique est resté inconnu jusqu’aux récents travaux de R.I. Wilson et R.A. Nicoll [24]: dans l’hippocampe, l’inhibition des récepteurs CB1 bloque la DSI, tandis que les CB synthétiques entraînent l’occlusion de la DSI.

Parallèlement, le rôle central des endoCB a également été révélé dans la DSE (depolarization induced suppression of excitation) du cervelet où la signalisation rétrograde endoCB module des synapses excitatrices glutamatergiques [25]. Ainsi, les endoCB sont des messagers rétrogrades qui, en réponse à
une dépolarisation postsynaptique, réduisent pendant quelques dizaines de secondes la libération de neurotransmetteur, à contre-courant de la transmission synaptique inhibitrice ou excitatrice.

L’étude pharmacologique des mécanismes de la DSI et de la DSE a révélé que, au niveau postsynaptique, la production d’endoCB implique de manière parallèle les récepteurs métabotropiques du glutamate (mGlu) et les canaux calciques [25] (Figure 3).

L’efficacité des connexions synaptiques peut également, de manière durable (plusieurs heures in vitro, plusieurs jours in vivo), être modulée par leur propre activité. Ces formes élémentaires d’apprentissage sont regroupées sous le terme de plasticité synaptique à long terme. Fonctionnellement, la stimulation répétitive à haute fré-

Figure 2. Principales voies de transduction du signal modifiées après action des endocannabinoïdes (endoCB) via les récepteurs CB1, VR1 ou par action directe. L’activation des récepteurs CB1 et CB2 par les endoCB (1) conduit à une inhibition de l’activité cyclasique (2). Cet effet est inhibé par un traitement par la toxine pertussique, révélant ainsi l’intervention d’une protéine G de type Gi/o dans le couplage récepteurenzyme [14, 15].



L’anandamide (AEA) et le 2-arachidonoyl glycérol (2-AG) sont des agonistes entiers de l’inhibition de l’adénylate cyclase via le CB1. En revanche, seul le 2-AG est agoniste entier au niveau du CB2. Dans certaines conditions, l’activation du récepteur CB1 (et pas le CB2) conduit à une production d’AMPc via une protéine de type Gs. Dans ce cas, l’AEA devient un agoniste partiel du CB1, contrairement au 2-AG qui reste agoniste entier. L’activation du récepteur CB1 provoque également une inhibition indirecte, par le biais d’une protéine Gi/o mais indépendante de l’activité cyclasique, des canaux Ca2+ sensibles au potentiel de type N, L et Q/P [14, 15] (3), et une inhibition directe des canaux de type T [16] (4). Les endoCB augmentent par ailleurs l’activité des canaux potassiques de la rectification entrante (KIR) (5),
par le biais d’une protéine G de type Gi/o, mais indépendamment de l’inhibition de l’adénylate cyclase. L’activation des récepteurs CB1 diminue la sensibilité au potentiel de membrane des canaux potassiques de type A (KA) (6), via une protéine Gi/o et de façon dépendante de l’inhibition de la voie adénylate cyclase/protéine kinase A (PKA) [14, 15]. De plus, les endoCB inhibent deux autres types de canaux potassiques : des canaux de fuite sensibles aux protons (TASK-1) et les canaux de type M (KM) [17, 18] (7). L’AEA a un double effet, inhibiteur et stimulateur, sur les récepteurs du glutamate de type NMDA (M-méthyl-D-aspartate) [14, 15]. L’inhibition est une conséquence indirecte de l’inhibition des conductances Ca2+ de type P/Q après activation du CB1 (8), tandis que l’activation résulte d’un effet direct des endoCB sur le récepteur NMDA (9), conduisant à une augmentation de l’influx calcique à travers le canal. L’AEA inhibe la perméabilité des jonctions communicantes entre les astrocytes, via une protéine G de type Gi/o couplée à un récepteur de type CB différent de CB1 ; il a pour conséquence une inhibition du couplage électrique et de la propagation des vagues calciques intercellulaires [19]. Par ailleurs, les endoCB, après activation du récepteur CB1 et activation subséquente de la phospholipase Cβ (PLCβ), stimulent la mobilisation du Ca2+ intracellulaire stocké dans le réticulum endoplasmique des neurones [14, 15] et des astrocytes (10) [20]. L’activation par les endoCB de la voie des MAP kinases (mitogen-activated protein kinases) [14, 15] (11) déclenche une cascade aboutissant in fine à l’activation de facteurs de transcription multiples, tels que krox 24, c-fos ou c-jun. Deux autres MAP kinases sont activées par les endoCB lors de stress cellulaires : p38-MAPK et c-jun-N-terminal kinase (JNK). L’activation de JNK conduit à une apoptose cellulaire, alors que celle de p38-MAPK a des effets neuroprotecteurs, ainsi qu’anti-profilérateurs au niveau de cellules tumorales [21, 22]. L’action des endoCB sur la voie des MAP kinases constitue un champ de recherche extrêmement prometteur au niveau thérapeutique (voir plus loin), car cette voie intervient dans le devenir de la cellule (processus de différenciation morphologique et de survie neuronale). Seule l’AEA, parmi les endoCB, active le récepteur vanilloïde de type 1 (VR1) (12), un canal cationique non sélectif de la famille des canaux TRP (transient receptor potential) impliqués dans les phénomènes
de détection de stimulus nocicepteurs et dans la transduction de l’hyperalgésie inflammatoire et thermique.

Un agoniste de VR1, l’olvanil (voir Figure 1), agit comme un agoniste partiel du CB1, ce qui suggère
l’existence d’un recouvrement partiel, dans la reconnaissance des ligands, entre les récepteurs VR1 et CB1. Les affinités de couplage des récepteurs CB1 et CB2 aux protéines G ne sont pas équivalentes : si les
deux types de récepteurs possèdent une très forte affinité pour Gi, celle du CB1 pour Go est 10 fois supérieure à celle du CB2. Cela peut expliquer l’absence, ou la faiblesse, d’interaction du CB2 avec les canaux ioniques, contrairement au CB1 qui est capable de moduler l’activité de nombreux canaux. Les endoCB inhibent, directement ou indirectement (via le CB1), la perméabilité de canaux calciques préférentiellement présynaptiques (comme les récepteurs CB1) et impliqués dans le contrôle de la libération
des neurotransmetteurs.

quence (autour de 100 Hz) induit une potentialisation durable de la transmission synaptique (à intensité de stimulation présynaptique égale, la réponse postsynaptique est plus grande), nommée potentialisation à long terme.
D’autres modes de stimulation (à basse fréquence) induisent au contraire une dépression à long terme (DLT) pouvant durer plusieurs heures in vitro. Ces deux formes archétypiques ont été observées au niveau de très nombreuses synapses excitatrices du SNC. Or, les endoCB pourraient moduler la plasticité synaptique à long terme, comme cela a été montré au niveau du noyau accumbens, structure centrale de la voie corticomésolimbique.

Le noyau accumbens reçoit, entre autres, des afférences glutamatergiques du cortex préfrontal. La stimulation de ces fibres excitatrices, à une fréquence correspondant aux rythmes de décharge, mesurés in vivo, des neurones du cortex prélimbique (13 Hz, 10 minutes), entraîne une DLT importante de l’efficacité de la transmission excitatrice corticale afférente au noyau accumbens. Les récepteurs CB1 étant présents sur les terminaisons en provenance du cortex prélimbique [28], et compte tenu du rôle de la voie de signalisation rétrograde endoCB dans la DSI et la DSE, il est possible que les endoCB contrôlent la plasticité synaptique à long terme. Corroborant cette hypothèse, cette DLT est absente chez des souris CB1-/-, et bloquée par un antagoniste CB1 chez des souris sauvages [29, 30]. Des résultats similaires ont été obtenus au niveau des synapses corticostriatales [31].

Les endoCB sont des messagers rétrogrades qui diffusent au-delà des synapses glutamatergiques à l’origine
de leur production pour agir sur les synapses environnantes.

Ainsi, la stimulation à haute fréquence de l’amygdale basolatérale entraîne une DLT des synapses
GABAergiques voisines [32], qui pourrait être associée à l’extinction des mémoires d’aversion. Les endoCB interviendraient donc dans la plasticité synaptique « en volume», c’est-à-dire en réglant l’efficacité synaptique
de terminaisons neuronales voisines des synapses, lieux de leur production. Les endoCB représentent donc
une nouvelle classe de messagers diffusibles impliqués dans les régulations à court et à long terme de la transmission synaptique [24, 25, 30].

Effets comportementaux des endocannabinoïdes

Les endoCB produisent des effets somatiques similaires à ceux induits par les phytoCB [33]. Ces effets incluent chez le rongeur des réponses bien définies: antinociception, hypothermie, hypolocomotion et catalepsie.
Les doses faibles produisent chez l’animal des réponses comportementales qui sont un mélange des effets stimulateurs et dépresseurs des CB sur le SNC. Cependant, à doses élevées, les effets des CB sont toujours de type dépresseur [34].

Effets moteurs

Des doses élevées de CB induisent chez la souris un comportement pop corn: les souris restent dans un état
de sédation apparente, mais bondissent (hyperréflexie) lors de stimulus tactiles ou auditifs. Chez le rat, des
doses élevées de CB induisent un comportement de rotation autour du corps [33-35]. Dans le striatum, les
endoCB jouent un rôle inhibiteur sur le contrôle de la motricité qui s’opposerait aux effets facilitateurs de la
dopamine. Par ailleurs, le cervelet participe lui aussi à certaines actions motrices des CB, comme l’ataxie et la perte de coordination.

Effets antinociceptifs

Les CB ont des effets antinociceptifs dans différents modèles animaux, et l’antagoniste CB1 SR141716A
induit des effets hyperalgiques qui suggèrent l’existence d’un tonus endoCB analgésique [36]. Les endoCB
modulent la nociception par des mécanismes supraspinaux, spinaux et périphériques. La micro-injection centrale de CB a permis d’identifier différentes régions responsables de ces réponses, telles que la substance grise périaqueducale ou la partie rostroventromédiane du bulbe rachidien.

Une partie des effets antinociceptifs centraux semble due à la modulation de l’activité du système inhibiteur descendant. Au niveau spinal, les CB sont efficaces pour inhiber la transmission des fibres nociceptives de petit diamètre, et ils diminueraient la libération de neurotransmetteurs tels que la substance P ou le calcitonin gene-related peptide, responsables de la transmission de la douleur [36]. De plus, les récepteurs vanilloïdes participeraient à ces réponses antinociceptives [37]. Enfin, au niveau périphérique, les récepteurs CB1 et CB2 jouent un rôle synergique d’inhibition des stimulus nociceptifs [38]: une libération d’AEA et de palmityl éthanolamine a ainsi été démontrée dans des modèles de douleurs d’origine inflammatoire.

Effets sur la mémoire

Les CB, via les CB1, diminuent l’acquisition des apprentissages et la mémoire de travail, mais n’ont pas d’effet sur la mémoire de référence. L´hippocampe serait la principale structure responsable des effets des CB sur la mémoire: ainsi, les CB diminuent la potentialisation et la dépression à long terme observées dans les neurones de l’hippocampe [39]. Les endoCB sont libérés par la stimulation des neurones hippocampiques, suggérant un rôle tonique important dans leur contrôle physiolo-gique de la mémoire [40]. En accord avec ces résultats, les souris CB1-/- semblent se comporter mieux que leurs congénères sauvages dans un test de mémorisation hippocampique [41].

Autres réponses comportementales

Les CB augmentent le sommeil par l’intermédiaire d’un lipide, l’oléamide (augmentation des phases lente et paradoxale REM, rapid eye movements), avec pour corollaire une diminution du temps d’éveil [42]. De plus, l’antagoniste CB1 SR141716A augmente l’état d’éveil, suggérant un rôle physiologique du système
endoCB dans le contrôle des états de sommeil et de vigilance.

Les effets des CB sur l’anxiété sont biphasiques. Des effets anxiogènes ont été observés après l’administration de doses élevées de différents agonistes CB [43], tandis que des doses faibles induisent
des effets anxiolytiques [44]. Par ailleurs, l’antagoniste CB1 SR141716A induit des effets anxiogènes, ce qui suggère que le blocage du tonus endoCB augmente l’anxiété. Des effets opposés des CB ont également été décrits concernant l’agressivité : l’administration chronique de doses élevées du principe actif des cannabinoïdes, le THC, induit une augmentation de l’agressivité chez le rat; en revanche, des doses faibles de
THC, plus proches des doses éventuellement consommées par l’homme via le cannabis, induisent une diminution de l’agressivité [45].

Enfin, un lipide de la même famille que les endoCB, l’oléyléthanolamide, est impliqué dans le contrôle physiologique de la prise alimentaire [46].

Potentiel thérapeutique du cannabis ou de ses dérivés:

un remède vieux comme le monde Les premières traces d’un usage médicinal des dérivés du cannabis sont
retrouvées dans des textes chinois et égyptiens datés de plusieurs centaines d’années avant J.-C. Les phytoCB sont utilisés depuis des millénaires pour traiter la douleur, les spasmes, les nausées, l’insomnie ou le manque d’appétit.

Traitement de la douleur

Les phytoCB et les endoCB se sont révélés très efficaces (parfois plus que les opiacés) dans des modèles animaux de douleurs aiguës, inflammatoires, neuropathiques et d’hyperalgie [36, 47], et le pouvoir antinociceptif des agonistes CB1 a également été observé chez l’homme [48].

Le fait que les endoCB agissent, dans certains cas, de manière indépendante des récepteurs classiques des CB au niveau central permet d’envisager le développement de molécules thérapeutiques 50

Figure 3. Les endocannabinoïdes (endoCB) agissent sur la plasticité synaptique à long terme, grâce à leur action rétrograde sur l’élément présynaptique.



En haut: représentation schématique de la voie rétrograde de signalisation endoCB. L’activation postsynaptique des récepteurs mGlu1/5 et/ou l’élévation du Ca2+ intracellulaire postsynaptique entraîne la production d’endoCB et l’activation de récepteurs CB1 présynaptiques. Ce mécanisme général est valable pour les effets à court terme (DSI, depolarization induced suppression of inhibition; DSE, depolarization induced suppression of excitation) comme à long terme (DLT, dépression à long terme) des endoCB. Le glutamate libéré lors de la stimulation soutenue des fibres prélimbiques active au niveau postsynaptique des récepteurs du glutamate de type mGlu5, avec pour effet une vidange des compartiments calciques intracellulaires, ainsi que la production et la libération
d’endoCB par le neurone postsynaptique. Ces endoCB agissent in fine sur les récepteurs CB1 présents
sur les terminaisons présynaptiques pour diminuer de manière durable la libération de glutamate [29]. Ce phénomène permet donc de traduire (via les récepteurs mGlu5) le signal glutamatergique antérograde «point à point» rapide en signal endoCB rétrograde agissant à long terme [30]. En bas: enregistrements de la transmission synaptique glutamatergique dans le noyau accumbens de souris. Les courants postsynaptiques excitateurs sont fortement réduits après induction de la DLT.

sans effets psychotropes. Par ailleurs, puisque les récepteurs CB1 et CB2 semblent tous deux impliqués
dans l’effet antinociceptif au niveau périphérique, il existe une possibilité de développer des agents thérapeutiques spécifiques des CB2, efficaces sur la douleur mais dépourvus d’effets psychotropes.

Traitement de glaucomes
Les dérivés du cannabis sont depuis longtemps utilisés pour traiter les glaucomes, l’activation des récepteurs
CB1 causant une vasodilatation et une réduction de la pression intra-oculaire [49]. Il est probable que la
découverte récente de récepteurs CB1 et du système endoCB dans l’oeil permette le développement de préparations à application locale, permettant ainsi d’éviter les effets psychoactifs des CB1 [49].

Traitement de désordres du comportement alimentaire

Les phytoCB et les endoCB stimulent l’appétit, tandis que les antagonistes CB1 sont anorexigènes et entraînent une perte de poids chez les souris obèses [50]. De plus, le 2-AG présent dans le lait maternel stimule la tétée, le blocage des récepteurs CB1 chez les souriceaux nouveau-nés entraînant un arrêt de la prise de lait et la mort des animaux [4]. Ces propriétés laissent présager du potentiel thérapeutique des agents pharmacologiques CB et endoCB dans le traitement de désordres aussi importants que l’obésité ou l’anorexie.

Par ailleurs, les caractéristiques anti-émétiques bien connues des CB s’ajoutent à leurs effets orexigènes et
expliquent les résultats encourageants obtenus avec des agonistes CB1 utilisés dans le traitement des effets
secondaires particulièrement dévastateurs des chimiothérapies anticancéreuses et des pertes de poids
accompagnant l’infection par le VIH [4, 50].

Traitement de désordres moteurs

Au niveau des ganglions de la base, la stimulation des récepteurs CB1 diminuerait les symptômes d’hyperactivité dopaminergique liés à de nombreuses maladies neuropsychiatriques. Ainsi, les CB présenteraient un intérêt thérapeutique dans le traitement des tics accompagnant le syndrome de Gilles de la Tourette, dans la réduction des dyskinésies induites par le traitement lévodopa des parkinsoniens et dans certaines formes de tremblements et de dystonies [51, 52].

Notons enfin les résultats significatifs obtenus dans le traitement des tremblements et des spasmes chez les
malades atteints de sclérose en plaques, ainsi que dans un modèle animal auto-immun de sclérose en
plaques [53].

Traitement d’ischémies cérébrales
Il n’existe pas de traitement approprié aux accidents cérébraux d’origine traumatique ou ischémique. Une
stratégie proposée consisterait à contrer le principal mécanisme secondaire, l’excitotoxicité glutamatergique,
en agissant sur les voies neuroprotectrices et réparatrices endogènes. La capacité des endoCB à réduire la libération de glutamate jouerait un rôle important dans le fort pouvoir neuroprotecteur des phytoCB et des endoCB observé dans des modèles animaux [51, 54].

Traitement de gliomes
C’est là une des potentialités thérapeutique les plus prometteuses des CB, puisque les gliomes sont jusqu’à
présent des maladies au pronostic très réservé. Les CB participent au contrôle du devenir cellulaire, survie
ou mort, via l’induction de la synthèse de céramide.

On sait que des concentrations élevées et soutenues de céramide induisent une apoptose cellulaire, alors
que des concentrations élevées mais brèves favorisent au contraire la régulation de fonctions métaboliques.
Or, dans plusieurs types de gliomes, l’activation des récepteurs CB conduit à des concentrations
chroniquement élevées de céramide et donc à l’apoptose de ces cellules tumorales. Cet effet est propre
aux gliomes, l’activation même soutenue des récepteurs CB astrocytaires ou neuronaux entraînant des
élévations aiguës (et non chroniques) de céramide, n’ayant ainsi aucun effet apoptotique sur ces cellules
[21, 22].

Conclusions
L’étude du système endocannabinoïde est fascinante par son intérêt propre, qui dépasse très largement les
effets des cannabinoïdes exogènes, mais aussi par l’histoire de son étude. Celle-ci a en effet été jalonnée
de rebondissements, qui ont souvent pris en défaut la logique scientifique, mais qui ont abouti à la mise en
évidence d’un système endocannabinoïde extrêmement complexe. Les progrès récents réalisés dans la
compréhension des effets cellulaires et moléculaires des endocannabinoïdes, ainsi que dans le développement
d’agents pharmacologiques sélectifs de leurs différentes voies de synthèse et de dégradation, suggèrent
que ces molécules agissent de manière extrêmement fine sur de multiples voies de transduction du
signal et de l’information. Le système endocannabinoïde apparaît dès lors comme un formidable terrain
de recherche pour le développement de nouvelles thérapeutiques

SUMMARY
Endocannabinoids in the central nervous system
The major psychoactive component of cannabis derivatives, Ä9-THC, activates two G-protein coupled receptors: CB1 and CB2. Soon after the discovery of these receptors, their endogenous ligands were identified: lipid metabolites of arachidonic acid, named endocannabinoids.

The two major main and most studied endocannabinoids are anandamide and 2-arachidonyl-glycerol.
The CB1 receptor is massively expressed throughout the central nervous system whereas CB2 expression
seems restricted to immune cells. Following endocannabinoid binding, CB1 receptors modulate second messenger cascades (inhibition of adenylate cyclase, activation of mitogen-activated protein kinases and of focaladhesion kinases) as well as ionic conductances (inhibition of voltage-dependent calcium channels, activation of several potassium channels).

Endocannabinoids transiently silence synapses by decreasing neurotransmitter release, play major parts in various forms of synaptic plasticity because of their ability to behave as retrograde messengers and activate non-cannabinoid receptors (such as vanilloid receptor type-1), illustrating the complexity of the endocannabinoid system. The diverse cellular targets of endocannabinoids are at the origin of the promising therapeutic potentials of the endocannabinoid system.

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